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C’est bien connu, les délégués du personnel (effectifs et suppléants) au conseil d’entreprise (CE) ou au comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) ainsi que les candidats délégués du personnel non élus bénéficient d’une protection particulière contre le licenciement.

Conformément aux dispositions de la loi du 19 mars 1991 qui institue cette protection particulière contre le licenciement, les travailleurs protégés ne peuvent être licenciés que pour un motif grave préalablement reconnu par la juridiction du travail ou pour des raisons d’ordre économique ou technique préalablement reconnues comme telles par l’organe paritaire compétent.

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A défaut de respecter les procédures spécifiques imposées par la loi du 19 mars 1991, l’employeur qui procède au licenciement d’un travailleur protégé est redevable d’une indemnité de protection. Celle-ci se décompose en deux parties : (a) une indemnité forfaitaire comprise entre 2 et 4 années de rémunération selon l’ancienneté du travailleur et, si la demande de réintégration formulée par le travailleur après son licenciement irrégulier n’a pas été acceptée par l’employeur, (b) une indemnité variable correspondant à la rémunération pour la période restant à courir jusqu’à l’expiration du mandat.

Dans le pire ou le meilleur des cas (selon le banc sur lequel on se trouve), l’indemnité de protection maximale pourra donc correspondre à huit années de rémunération.

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Grande particularité de ce régime de protection contre le licenciement qui retiendra l’attention en période de préparation des élections sociales : la période de protection occulte !

La protection contre le licenciement débute à partir du trentième jour qui précède l’affichage de l’avis annonçant la date des élections (X-30) soit, selon le calendrier des prochaines élections sociales, entre le 10 janvier 2016 et le 23 janvier 2016 selon la date retenue par l’employeur pour les élections proprement dites.

Or, les listes de candidats sont déposées et sont donc connues de l’employeur à X + 35 au plus tard soit, entre le 15 mars 2016 et le 28 mars 2016 toujours selon la date retenue pour les élections.

C’est la raison pour laquelle on qualifie cette période comprise entre X-30 et X+35 de période de protection occulte. Pendant cette période, les candidats sont protégés contre le licenciement mais l’employeur ne connait ni le nombre de candidats, ni leur identité.

Imaginez que l’un de ces candidats soient licenciés – par exemple pour motif grave dans le respect de l’article 35 de la loi du juillet 1978 relative aux contrats de travail – mais sans avoir préalablement demandé l’autorisation du tribunal comme l’impose la loi du 19 mars 1991 pour les travailleurs protégés, l’employeur sera condamné, indépendamment de la gravité des faits, à devoir payer plusieurs années de rémunération à titre d’indemnité de protection … Il faut donc être très prudent pendant toute cette période, notamment si des projets de restructuration ou de réorganisation sont en cours.

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Plus insolite encore, il n’est pas requis que le travailleur soit déjà inscrit comme candidat à la date de son licenciement. Un travailleur licencié pendant cette période occulte moyennant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis classique pourrait en effet se porter candidat pour autant qu’il réunisse les conditions d’éligibilité au moment de son licenciement.

Si toutefois le travailleur pose sa candidature dans le seul but de faire échec au licenciement et de revendiquer le bénéfice des dispositions protectrices de la loi, l’employeur pourra soutenir que la candidature est abusive, c’est-à-dire qu’elle détourne l’exercice du droit de sa finalité économique et sociale. L’employeur devra démontrer que ce travailleur n’aurait pas posé sa candidature s’il n’avait pas été licencié ou ne craignait pas de l’être. Les juridictions ne sont toutefois généralement pas très favorables à reconnaître le caractère abusif d’une candidature. Tout dépend cependant du contexte.

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Bien informé de cette problématique, l’employeur pourrait être tenté de licencier certains travailleurs qui ne sont pas encore protégés mais qui pourraient le devenir … avant que cette période occulte ne prenne cours.

Il pourrait aussi être tenté de licencier ceux qui sont déjà protégés avant le début de cette même période. Certes, cela coûtera l’indemnité forfaitaire. Il faudra aussi payer l’indemnité variable (correspondant pour rappel à la rémunération pour la période restant à courir jusqu’à l’expiration du mandat) mais celle-ci se réduit à mesure que l’on approche de la date d’installation des candidats qui seront élus en 2016…

Dans tous les cas, l’employeur devra disposer de raisons valables et objectives de mettre un terme au contrat de travail du travailleur et éviter de mettre un terme à la collaboration pour l’unique motif qu’il subodore que le travailleur concerné a l’intention de se présenter (ou de se représenter) comme candidat aux élections sociales de 2016.