Un équilibre est à trouver. La profession est très réglementée.
Depuis que la profession est réglementée en droit belge par la loi du 19 juillet 1991, un employeur, une compagnie d’assurance, etc. peut recourir aux services d’un détective privé et les éléments de preuve récoltés par celui-ci peuvent être produits en justice. La profession de détective privé est très réglementée : le détective privé doit obtenir une agréation légale, le détective et son client doivent conclure une convention écrite préalable décrivant précisément l’objet de la mission, le détective doit établir un rapport de mission, etc.

Un arrêt récent de la cour du travail de Liège du 6 février 2015 rappelle que pour pouvoir produire les éléments de preuve récoltés par le détective privé sans qu’ils ne soient écartés des débats, certaines conditions doivent être respectées. Les faits soumis à la cour sont les suivants : une compagnie d’assurance conteste le taux d’incapacité permanente partielle accordé à un travailleur victime d’un accident du travail (à la main gauche). En première instance, le juge accorde un taux d’incapacité considéré comme excessif par celle-ci. En appel, la compagnie décide de contester le taux alloué. Elle mandate un détective privé dans l’espoir d’obtenir les éléments de preuve nécessaires pour obtenir une révision du taux à la baisse. Dans le cadre de cette procédure en appel, le conseil de la compagnie d’assurances dépose trois DVD, tournés à l’insu du travailleur. Les images montrent la victime dans des scènes de la vie courante, notamment quand il utilise sa main gauche pour fermer sa ceinture de sécurité, effectuer des manœuvres et conduire son véhicule en utilisant ses deux mains. Pour la compagnie d’assurance, ces images contredisent les constatations du premier expert qui avait notamment relevé que l’intéressé manifeste de l’anxiété et retire vivement sa main gauche lorsqu’il voit qu’elle va être touchée […]. Préalablement à l’analyse des images récoltées par le détective privé, la cour va examiner si ces images ont été recueillies légalement afin d’évaluer si elle va pouvoir en tenir compte au moment de prendre sa décision.
Selon la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard du traitement des données à caractère personnel, est considérée comme donnée à caractère personnel toute information se rapportant à une personne identifiée ou identifiable. Il faut, en outre, que les données aient fait l’objet d’un traitement. Pour la cour le simple fait qu’elles aient été gravées sur un support DVD est suffisant. Cette loi impose notamment, lorsque les données n’ont pas été obtenues directement auprès de la personne concernée (ce qui est le cas en l’espèce), que le responsable du traitement des données informe la personne concernée de l’existence des données et de son droit d’accès et de rectification de celles-ci.
Or, la cour va constater que le travailleur, filmé à son insu, n’a pas été informé par la compagnie d’assurance de l’existence des images enregistrées et qu’il n’a donc pas pu exercer son droit d’accès et de rectification de toute information incomplète ou de suppression de toute information erronée ou superflue. La cour relève ainsi qu’il avait le droit, avant leur production en justice, de s’assurer qu’aucune des prises de vue et des lieux filmés ne portait atteinte à sa vie privée, à celle de sa famille ou à celle de tiers mais qu’il n’apas pu, faute de ne pas avoir été informé de l’existence des images, exercer ce droit.
La cour en conclut que cette illégalité commise par la compagnie d’assurance dans l’exercice de ce mode de preuve commande que le rapport du détective et les images prises à l’insu du travailleur et sans qu’il y ait eu accès avant leur dépôt au dossier de la procédure, soient écartées des débats.
Pour (espérer) convaincre la cour et afin que soient pris les éléments de preuve récoltés par le détective privé, la compagnie d’assurance invoqua la jurisprudence Antigone. Pour faire très bref, selon cette jurisprudence, il doit être tenu compte de tous les éléments de preuve récoltés, même illégalement, sauf dans trois cas : (a) lorsqu’il y a violation d’une règle prescrite à peine de nullité, (b) en cas de vice entachant la fiabilité de la preuve ou (c) en cas de violation du droit à un procès équitable.
Pour la cour toutefois, il n’y a pas lieu d’appliquer cette jurisprudence en dehors de la sphère du contentieux pénal et des litiges en droit de la sécurité sociale dans lesquels sont constatées des infractions pénales commises par des assurés sociaux ou des infractions aux obligations réglementaires de déclaration précise et complète de leur situation de revenus ou d’activités, réprimées par des sanctions d’exclusion de prestations sociales qui revêtent un caractère de nature pénale […]. Etant, ici, dans le cadre d’un contentieux relatif aux accidents du travail et non dans un contentieux pénal ou social susceptible de sanctions de même nature, la cour n’a, dès lors, pas fait application de la jurisprudence Antigone et a donc écarté les éléments de preuve rapportés par le détective privé.
En conclusion, il est utile de retenir qu’il est tout à fait permis de recourir aux services d’un détective privé et de produire les éléments de preuve récoltés par ceux-ci en justice. Il est toutefois impératif, avant tout dépôt en justice, et ce, afin de ne pas voir les éléments recueillis par le détective privé écartés purement et simplement des débats, de s’assurer que les éléments récoltés par celui-ci aient bien été portés à la connaissance de la personne mise en filature et filmée à son insu et que celle-ci ait pu exercer son droit d’accès et de rectification concernant les images.
Au vu des enjeux d’un litige judiciaire, pouvant être importants, il serait dommage que les preuves récoltées illégalement, notamment par un détective privé, finissent à la poubelle. Soyez vigilants à informer qui de droit.